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Une nouvelle proposition de la Commission pour un Cadre Financier Pluriannuel assorti d’un plan de relance

En mai 2018, la Commission européenne (CE) avait mis sur la table une proposition pour le Cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027,  équivalent à 1,11 % du RNB à 27. Elle avait été jugée insuffisante par le Parlement européen (PE) qui souhaitait l’augmenter à 1,3% du RNB (voir notre article), critiquée par la France pour la baisse de la PAC, par les pays de l’Est et du Sud pour la baisse de la politique de cohésion, et par la majorité des Etats contributeurs nets qui refusaient d’augmenter leur contribution.

Différents camps ont commencé à se former. Deux contre-propositions de compromis ont suivi, qui n’ont pas abouti à un accord entre Etats: celle de la Finlande en décembre 2019 (voir notre article) et celle du Président du Conseil européen Charles Michel en février 2020. (voir notre article).

Ce 27 mai 2020, la Commission a présenté un nouveau CFP, modifié à la marge, de 1 100 milliards€, soit environ 1,074% du RNB (contre 1 135 milliards en 2018 à 1,1%). Afin de soutenir la relance européenne suite à la crise du Covid-19, la CE invite à intégrer des fonds supplémentaires à travers un plan de relance européen "Next Generation EU". Ce fonds apportera un appui temporaire au CFP, jusqu’à fin 2024, pour un montant de 750 milliards €.

Next Generation EU sera financé par une utilisation innovante de l’instrument financier du CFP. La CE  propose d’agrandir la marge entre le plafond des ressources et le plafond des paiements. Cette méthode constituerait une garantie de 0,6% du RNB afin d’emprunter les 750 milliards sur les marchés financiers. Ce nouveau fonds abonderait en particulier les programmes du CFP sous forme de deux-tiers de subventions (500 milliards) et d’un-tiers de prêts (250 milliards). Cet emprunt serait remboursé via les futurs CFP de 2028 à 2058 à travers notamment de nouvelles ressources propres (taxe carbone aux frontières, revenus du marché carbone ou taxe sur les entreprises numériques) que la Commission souhaiterait se voir attribuer. L’ensemble, s’il est adopté, permettrait de dégager un futur budget européen 2021-2027 de 1 850 milliards€.

L’essentiel du CFP se concentrera comme prévu initialement sur le Green deal, une transition juste, la transformation numérique, la protection des frontières externes, les migrations et la défense. Next Generation EU aidera à réaffirmer la double transition vers une Europe verte et numérique ainsi que la résilience économique de l’UE. Pour ce faire, le plan de relance s’articulerait autour de trois piliers.

Un premier pilier, le plus conséquent, se focaliserait sur le soutien aux Etats et aux territoires dans un objectif de renforcement de la cohésion européenne avec un montant total de 610 milliards dédié à la rubrique Cohésion et Valeurs, dont 560 milliards €, (310 en subventions et jusqu’à 250 en prêts) seront consacrés à une nouvelle "Facilité pour la Reprise et la Résilience" dédiée à l’investissement et aux réformes à travers notamment le Semestre européen

Ce pilier aurait également un impact positif sur la politique de cohésion, qui se verrait dotée de 55 milliards supplémentaires (l’équivalent d’une année de distribution) dans le cadre de l’initiative ReactEU, pour se concentrer sur le rétablissement des services de santé, les PME, le marché du travail et vers l’avenir en assurant la relance verte et numérique. Sur les 55 milliards €  disponibles dès 2020, 5 milliards seraient mobilisés au titre du CFP 2014-2020, et 50 milliards sur le CFP 2021-2027. Les mesures de "simplification" et de flexibilité des plans CRII et CRII+ (voir notre article) resteront en vigueur jusqu’en 2022. Les programmes 2014-2020 pourraient être prolongés jusqu’en 2022. Les projets pourraient être financés jusqu’à 100% par l’UE.

Ces montants additionnels viseraient à accompagner les régions les plus impactées par la crise et seraient attribués sur la base de nouveaux critères socio-économiques "crise" (dont le chômage des jeunes), le PIB et la prospérité de l’Etat. La culture et le tourisme seraient également prioritaires. Par ailleurs, la Commission propose une révision du règlement général 2021-2027 avec l’introduction de nouvelles flexibilités, dans la lignée des paquets CRII et CRII+.

Sur le transport, le Mécanisme d’interconnexion européen (MIE) est augmenté de 4% pour l’amener à 12,8 milliards. La CE ajoute ainsi 1,5 milliard €, qui serait fléché sur les infrastructures pour le transport transfrontalier (le projet Rail Baltica est cité).

Le FEADER se verrait doté au total de 90 milliards €. Prévu dans la proposition de 2018 à 70 milliards, il serait renforcé dans ce CFP de 5 milliards, auxquels s’ajouteraient 15 milliards du fonds de relance pour la reconversion du secteur vers les objectifs du Green deal (en particulier ceux déclinés dans les stratégies "Biodiversité" et "De la ferme à la fourchette".

Le deuxième pilier se focaliserait sur la relance économique à travers notamment le renforcement de 30,3 milliards € d’InvestEU. Le volet "PME" serait complété par un nouvel "instrument d’aide à la solvabilité", dont la garantie permettrait à la BEI de soutenir la recapitalisation des entreprises privées impactées par la crise. Une recapitalisation qui serait conditionnée à des objectifs durables. En attendant la mise en place d’InvestEU, cet instrument pourrait être opérationnel dès 2020 avec une enveloppe de 31 milliards €.

Un volet additionnel de 15 milliards serait ajouté à InvestEU pour soutenir l’autonomie stratégique et les infrastructures et technologies critiques pour l’Europe. La santé intelligente, l’internet industriel des objets, la cybersécurité et les industries à faibles émissions de CO2 sont cités parmi les chaînes de valeur présentant un intérêt vital pour l’économie européenne. Grâce à un effet levier sur les marchés financiers, sa capacité totale pourrait atteindre 150 milliards €.

Enfin, le troisième pilier renforce la recherche en matière de santé (Horizon Europe). Il permettrait aussi de créer un nouveau programme européen sur la santé "EU4Health" plus ambitieux, avec une enveloppe de 9,4 milliards € pour la prévention des crises, les infrastructures de santé, les compétences dans le domaine de la santé, les médicaments et les dispositifs médicaux.

Le Parlement européen, qui aura son mot à dire tant sur le CFP que sur Next Generation EU s’est montré plutôt positif. Toutefois, il n’est pas exclu qu’il demande à dissocier la partie "plan de relance" et propose un plan de contingence qui consisterait à prolonger d’une année les plafonds du CFP actuel afin d’obtenir une proposition budgétaire plus ambitieuse.

Le Comité européen des Régions a réservé un accueil positif à ce plan, avec une alerte sur sa gouvernance, comme l’a souligné la Vice-présidente de la Région Nouvelle-Aquitaine, Isabelle Boudineau, Présidente de la commission COTER  (Cohésion et budget): "Au-delà des chiffres encourageants de la nouvelle proposition sur un cadre financier pluriannuel, il est essentiel que le plan de relance de l'Union se décline très vite localement. Ce sont nos régions et nos villes qui connaissent le mieux les secteurs et les territoires dans lesquels il est urgent d'investir pour faire face aux conséquences de la crise et préparer notre avenir commun."

La plupart des Etats, le couple franco-allemand en première ligne, se sont montrés plutôt enthousiastes. Les Etats dits "frugaux" (Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark) refusent jusqu’à maintenant tout CFP au-delà de 1% et tout mécanisme de subvention supplémentaire. Néanmoins, certains, comme l’Autriche, commenceraient à montrer des signes d’ouverture. Il semble y avoir peu de chance que les négociations aboutissent dès le prochain Conseil des 18 et 19 juin, la Commission européenne espérant toutefois un accord entre les Etats d’ici l’été, suivi d’une validation à l’automne par le Parlement européen. Avec l’hypothèse d’un calendrier de codécision accéléré entre les trois institutions pour adopter les règlements d’ici la fin de l’année, un démarrage au 1er janvier 2021 est encore possible.

Lien vers la proposition de la Commission européenne